Qui change qui ?

Est-ce la Réforme qui change la société,
ou est-ce la société qui change la Réforme ?

« Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21.5).
Le Dieu créateur et sauveur n’est en rien un Dieu conservateur et qui inciterait ceux qui se réclament de lui à s’enfermer dans des traditions déconnectées du monde dans lequel ils vivent. Mais la question qui nous est posée est de discerner si les innovations qui se présentent à nous participent à ces réalités nouvelles qui sont la manifestation du Royaume ou si ce ne sont que des changements où s’exprime avant tout la rupture de l’humanité avec son créateur. Si la Réforme a provoqué une mutation culturelle indéniable était-ce pour initier cette fuite en avant devenue un trait caractéristique de notre modernité ou au contraire pour redonner droit aux anciennes vérités qui s’étaient perdues ? Le protestantisme français depuis deux siècles a été traversé par ces deux orientations et elles s’affirment aujourd’hui avec une acuité plus forte que jamais. Derrière le débat sur la bénédiction et son extension éventuelle aux couples de même sexe, c’est aussi cette alternative qui s’impose à nous. Mais selon l’option qui sera adoptée, c’est pensons-nous, l’identité profonde du protestantisme qui est en jeu et aussi l’image que nous voulons donner de nous-mêmes. Bien sûr le débat théologique aura lieu. Le dossier que nous avons reçu en atteste la richesse du contenu. Pourtant, la question de la « posture » protestante face à notre société et à ses exigences n’apparaît pas vraiment alors qu’il y a de fortes chances que ce soit cette image que nous voulons donner de nous-mêmes qui fera pencher le choix dans un sens ou dans l’autre. A qui voulons nous plaire, à qui avons-nous peur de déplaire ?
Ces questions traversent tout le débat à venir.

quicourt

Le rite, contrainte ou liberté ?
La réflexion qui nous est proposée sur la bénédiction s’appuie sur une mise en perspective du rite. Le document en souligne de manière assez appuyée les risques potentiels. Pourtant, le rite en tant que tel, en tant que pratiqué par de nombreuses communautés priantes, n’est pas en soi problématique. Il a une valeur structurante, disciplinante et Jésus l’a aussi pratiqué. Il me semble que ce qui pose question c’est que le rite est compris par certains comme une intolérable contrainte pour ceux qui se veulent des sujets libres, autonomes, perpétuellement créatifs du sens de leur vie. Le rite devient formel quand certains veulent l’imposer d’autorité à d’autres. Mais n’est-il pas trop vite déclaré formel parce que l’on rechigne à s’y plier ? Il nous faut voir qu’il est vécu de manière épanouissante par de nombreux croyants qui font l’expérience que la liberté n’a de sens que face aussi à la règle – et quelle communauté pourrait s’en passer ? – face à cette Loi dont nous avons tant de mal à penser la pertinence dès que nous y opposons l’Evangile.

Se poser en s’opposant 
Le jugement porté par le document sur le judaïsme qui donnerait à voir « un Dieu tatillon » (p. 4) est révélateur d’une manière moderne d’envisager la foi. Je me pose en m’opposant ! Etre chrétien c’est ne plus être juif ; être protestant c’est rejeter le pape, la messe, la Vierge Marie ; être un protestant « éclairé » à la manière d’Auguste Sabatier, c’est s’affranchir de la religion d’autorité pour embrasser celle de l’Esprit. Et je ne peux m’empêcher de penser que certains s’appuient sur cette logique pour revendiquer aujourd’hui, au nom du « oui » de Dieu, de rejeter tout ce qui pourrait s’apparenter à des « non ».

Liberté ou autonomie
Le protestantisme qui se revendique « La parole de liberté aujourd’hui » (c’est ce que proclame une affiche que j’ai trouvée dans mon bureau paroissial et qui m’a toujours semblé très prétentieuse) ne confond-il pas liberté et autonomie ? Il est à cet égard héritier d’une certaine tradition philosophique moderne, mais aussi en rupture avec la compréhension des Réformateurs qui face à l’humanisme d’Erasme, rappelaient la réalité du « serf-arbitre ». Pour la Réforme – et pour la tradition biblique – la liberté ne se définit pas d’abord en référence au sujet mais en rapport avec le Dieu libérateur. Je suis libre parce que j’ai été libéré et non parce que je m’affranchirais moi-même.

Autorité des Ecritures
La pensée occidentale moderne valorise au contraire l’autonomie. Pour les philosophes des Lumières, c’est en s’affranchissant des formes anciennes d’autorité (politique, religieuse, philosophiques) que l’humanité accède enfin à l’âge adulte. Cette autonomie de la volonté se double aussi d’une autonomie de la rationalité qui appliquée à la Bible renverse la position qui fut celle du sola scriptura. Malgré le coup de barre donné par Karl Barth qui tente de redonner à la révélation de Dieu son caractère absolu, la tendance actuelle renoue avec les lectures critiques qui semblent les seules valables si on veut être de son temps. Mais dans cette ligne, la Bible n’a plus vraiment d’autorité au sens où elle affirme et où nous écoutons. Désormais la Bible fait seulement écho à ce que nous avons cogité. On en prend et on en laisse puisque de toute façon elle n’est qu’une collection de récits, qu’une vitrine de conceptions dont la plupart n’ont pas vraiment de pertinence avec ce que nous aujourd’hui nous savons. Si nous sommes entrés dans une ère nouvelle, alors ce qui est passé est périmé. La question est que ce principe peut perpétuellement s’appliquer est que toute affirmation aujourd’hui jugée un progrès pourra demain être rejetée comme inadaptée et erronée. Si c’est la science ou la philosophie qui donne son assise à la pensée, alors le christianisme se découvre comme précaire par nature et incapable de s’affirmer par lui-même. Il n’a de pertinence que si d’autres savoirs lui donnent du crédit. Dans le cas présent, ce serait les théories sur le genre, les évolutions sociétales qui inciteraient l’Eglise protestante à revoir sa théologie et ses principes (voir les pages sur l’anthropologie, la sociologie…). Jamais on ne se pose la question de savoir si ces évolutions et ces situations nouvelles ne devraient pas être mises en jugement. Par principe ce qui s’impose dans l’évolution historique ne peut qu’être bon, surtout si le plus grand nombre se rallie à ces évolutions.

Sommes-nous l’Eglise à nous tout seul ?
Il faudrait aussi se demander pourquoi dans un tel débat, on ne cherche pas à entendre les autres confessions chrétiennes. Malgré la Charte œcuménique (points 3 et 6 notamment), nous agissons comme si le christianisme se limitait à nous-mêmes. Bien sûr : pourquoi se mettre à l’écoute des autres chrétiens dont nous savons qu’ils sont tellement réactionnaires et si peu ouverts à la liberté ? J’y vois un indice d’un certain orgueil protestant qui ne peut qu’entraîner des conséquences fâcheuses car le Seigneur résiste aux orgueilleux (1 Pierre 5,5) ! Il reste à cette heure malgré tout la Fédération Protestante, et la présence des Eglises évangéliques qui sur ces questions ne semblent pas prêtes à nous suivre. Finalement, c’est une preuve de notre auto-suffisance, de notre repli sur nous-mêmes, de notre individualisme. Il n’est donc pas étonnant que ce soient nos petites pensées personnelles, nos désirs aussi qui finissent par commander à tout le reste. Face aux pressions d’une société libertaire et libertine, nous avons peur de confesser comme Jésus « que Ta volonté soit faite », et nous préférons murmurer, pas trop fort pour ne pas être pris en défaut, « que Ma volonté soit faite ».

Si effectivement il faut se montrer prudent dans l’invocation du status confessionis (question qui parce qu’elle touche au fondement de la foi peut impliquer la rupture de communion, par exemple l’Eglise confessante allemande face à l’Eglise liée au nazisme), il ne faut pas négliger la dimension du status communionis. Par certains aspects, la bénédiction est un acte ecclésial qui donne à voir et à entendre notre compréhension de l’Evangile. En voulant étendre la bénédiction à certaines personnes marginalisées – et qui sommes-nous pour maintenir quiconque dans la marginalité – on risque de rompre la communion avec d’autres. On peut estimer que les grincheux peuvent descendre du train de l’histoire, mais on peut aussi estimer que l’embarquement de nouveaux passagers n’implique pas de changer la destination !

Ne pas aplatir la bénédiction
Enfin, dans un contexte où la théologie protestante a passablement perdu le sens de la transcendance et des réalités spirituelles invisibles, la bénédiction risque d’être aplatie au statut de paroles bienveillantes. On pourra la gonfler un peu en se servant d’un jargon pseudo-philosophique, mais elle restera une parole sans la véritable profondeur du Royaume. Dans la tradition biblique et dans l’Evangile au contraire, la bénédiction donne à entendre ce que l’être humain, limité, manque souvent de percevoir. La bénédiction a souvent une dimension prophétique en appelant sur celui qui la reçoit l’accomplissement du projet de Dieu. Il y a donc une dimension « charismatique » (par exemple la bénédiction de Jacob en Genèse 49).  L’exemple de la culture Kanak ouvre un peu cette dimension (mais il faut rester plus que prudent à trop vite assimiler l’invocation des esprits et l’accueil du Souffle saint).

Deviens ce pourquoi Dieu t’a fait
Comme nous y invite la démarche synodale, nous pensons que la bénédiction est essentielle car elle me fait entendre que Dieu ne se contente pas de ce que je suis mais qu’il m’appelle à devenir ce pour quoi il m’a créé. La bénédiction ce n’est donc pas la petite tape du bon Dieu sur l’épaule de l’humanité, mais souvent une interpellation radicale à vivre enfin à la hauteur du Royaume. D’ailleurs, dans le culte, la bénédiction termine tout un parcours liturgique et biblique où cette conversion nous a été sans cesse offerte. Dernière parole du culte, elle nous ouvre aussi à cet appel à vivre en nouveauté de vie. La bénédiction de Jésus sur ses disciples (et sur l’Eglise) n’est pas qu’un encouragement consolant au moment où il va les quitter, mais l’invitation à accueillir la puissance d’en-haut pour devenir témoins. Jésus ne cherche pas seulement à mettre du baume au cœur de tous ceux que la vie aurait malmenés, mais, en les bénissant, à les convertir à ce que Dieu veut pour eux.

L’horizon de la bénédiction, c’est l’avènement du Royaume. Ce Royaume est ouvert à la multitude des êtres humains et la salle des noces peut se remplir de tous les laissés pour compte (Matthieu 22.1-14 ; Luc 14.13). Mais encore faut-il avoir revêtu l’habit de noce. Ce vêtement ce ne sont pas les modes du moment qui le définissent, mais il nous est donné par Celui que le baptême nous a fait revêtir (Galates 3.27). Si nouveauté il y a, ce n’est pas celle des évolutions historiques, contingentes et imparfaites, mais celle que Dieu seul peut donner à ceux qui humblement écoutent ce que de tous temps il a proclamé. N’est-ce pas cette parole éternelle que la Réforme a voulu retrouver ? Qui sommes-nous pour la changer ?

En guise de conclusion : Colossiens 3.5-14
5. Faites donc mourir ce qui n’est que terrestre : l’inconduite sexuelle, l’impureté, les passions, les mauvais désirs et l’avidité, qui est idolâtrie.
6. C’est pour cela que la colère de Dieu vient sur les rebelles.
7. C’est à cela que vous vous adonniez autrefois, lorsque vous viviez ainsi.
8. Mais maintenant, vous aussi, rejetez tout cela : colère, animosité, malfaisance, calomnie, paroles choquantes sortant de votre bouche.
9. Ne vous mentez pas les uns aux autres : vous vous êtes dépouillés de l’homme ancien, avec ses agissements,
10. et vous avez revêtu le nouveau, qui se renouvelle en vue de la connaissance, selon l’image de celui qui l’a créé.
11. Il n’y a là ni Grec ni Juif, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni Scythe, ni esclave ni homme libre ; mais le Christ est tout et en tous.
12. Ainsi donc, vous qui êtes choisis par Dieu, saints et bien–aimés, revêtez–vous d’une tendresse magnanime, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience.
13. Supportez–vous les uns les autres et faites–vous grâce, si quelqu’un a à se plaindre d’un autre ; comme le Seigneur vous a fait grâce, vous aussi, faites de même.
14. Mais par–dessus tout, revêtez–vous de l’amour, qui est le lien parfait.
15. Que la paix du Christ, à laquelle vous avez été appelés en un seul corps, règne dans votre cœur.