Jésus au prisme du genre

Les débats actuels et la confusion des propos bruyants ne permet pas vraiment la réflexion. Dans les milieux chrétiens comme dans le reste du monde, il devient difficile de faire reconnaître la différence profonde et fondamentale entre :
- des études du genre, qui cherchent à comprendre combien les notions de féminité et de masculinité sont codifiées et façonnées différemment selon les cultures,
- une vraie théorie du genre (bien que d’aucuns disent qu’elle n’existe pas), qui est l’extrapolation hasardeuse, normative et idéologique desdites études, prônant toutes sortes d’excès dont la négation de la différence sexuelle, le rupture fantasmée entre genre et culture, ou un hégémonisme d’une culture a-sexuelle ou trans-sexuelle (androgynie).

Alors portons paisiblement notre regard sur Jésus avec le recul critique d’une lecture au prisme du genre, en voyant quelles dérives nous pourrions en conclure dans une idéologie du genre (plutôt que « théorie », si vous le voulez bien).

JÉSUS, HOMME JUIF
Jésus est troublant à plus d’un titre, et pas seulement parce qu’il a su être pleinement Homme et pleinement Dieu. Il l’est parce que sa façon d’être homme, telle que les évangiles nous la décrivent, est étonnante pour notre perception culturelle.

Du point de vue de sa propre culture, juive, il est tout à fait un homme. Il porte une robe, avec vraisemblablement des téfilines (תפילין), puisque ce fut une drôle d’expérience qu’une femme impure du fait de pertes de sang ose toucher la frange de sa tunique (Luc 8,46). Il est un rabbin assez normal, il convoque des disciples qui sont des hommes essentiellement même s’il semble très ouvert à ce que des femmes suivent son enseignement et ses pérégrinations. Il ne s’oppose pas ouvertement aux catégories de son époque dans la répartition des prérogatives sexuelles, mais en même temps il transgresse plusieurs interdits. Il n’hésite pas à parler à une femme au bord d’un puits (Jean 4), ce qui « ne se fait pas », tout comme se faire sécher les pieds par une prostituée (Jean 12). Mais surtout il sera de fait connu comme le Ressuscité par le témoignage premier de femmes l’ayant découvert vivant au tombeau (Luc 23,55), ce qui est une bizarrerie car le témoignage des femmes n’a aucune valeur juridique.

JÉSUS EFFÉMINÉ ?
Du point de vue de notre culture, Jésus est un peu efféminé. Pas simplement à cause de la robe, mais surtout à cause de sa douceur dans les relations avec les autres. Ce type de délicatesse est classé au registre des valeurs féminines dans la France d’aujourd’hui.
Beaucoup sont aussi assez gênés qu’il ne soit pas marié.

C’est oublier qu’il est fiancé, et ceci depuis qu’il a posé, à Cana (Jean 2) l’acte d’abandonner la férule maternelle. Par là il a « quitté son père et sa mère pour s’attacher à son épouse » (Genèse 2,24), et ceci, justement, dans des noces qui préfigurent son propre mariage ! Lisez Apocalypse 19 pour y voir la narration des Noces de l’Agneau, où le Christ-époux prendra entièrement pour lui l’Église-Épouse en noces joyeuses : toute l’humanité rassemblée deviendra l’Épouse.
Donc Jésus n’est pas célibataire, à moins qu’on considère un fiancé comme un pur célibataire.

C’est un déficit de connaissance biblique qui a fait de Jésus une sorte d’androgyne dans l’imaginaire des chromos italiens, mais il était bien un homme, sexué et plein d’émois. Est-ce le fait qu’il pleure (Jean 11) ou qu’il soit secoué d’émotions à Getsémané (Matthieu 26) qui fait que nous trouvons encore qu’il soit un peu sensible ou maniéré ? En tout cas, cela ne peut être le point de vue que d’une société où s’est radicalisé une masculinité ancrée dans l’adage : « un garçon ça ne pleure pas… voyons ! ».

CROIRE C’EST POUR LES FEMMES
Ce déficit de culture quant à l’anthropologie biblique donne à penser à beaucoup d’hommes occidentaux que la foi n’est pas faite pour les vrais mâles, parce qu’elle implique une sensibilité qui est classée culturellement en France comme de l’ordre du féminin. Un homme ne confesse pas ses péchés devant les autres, il ne parle pas de son intimité, il ne partage pas ce qui est de l’ordre de l’émotion. Sinon il n’est pas un homme… D’où la perception que la foi serait une sorte de mariage spirituel entre la femme croyante et Jésus, ce qui est une aberration parce que Jésus n’est pas polygame, et encore moins infidèle à sa seule Épouse qui est l’Église. C’est aller un peu vite en besogne de dire que, parce que Jésus serait l’époux spirituel de l’Église, il serait l’époux psychique et émotionnel de chaque femme… Et conséquemment qu’on ne peut pas être homme et croyant parce que cela évoque une intimité d’homme à homme qui semble être de l’ordre d’une relation « entre copines ».

Une saine étude du personnage de Jésus selon les catégories du genre nous permet donc de comprendre combien le machisme occidental est d’une toute autre nature que le système patriarcal connu à l’époque de Jésus. C’est un produit d’un puritanisme du XIXème siècle. Le patriarcat juif est compensé par la transmission matrilinéaire de la judéité : cette idée émerge exactement au temps de Jésus. Notre machisme d’avant 1968 est quant à lui plus que patriarcal : c’est un simple système de domination des hommes sur les femmes, pour l’essentiel.

Il pourrait ainsi y avoir une Bonne Nouvelle à considérer l’étonnante égalité biblique, que l’on trouve dans plusieurs passages dont deux sont assez explicites :
- « la femme est l’os de mes os, la chair de ma chair » (Genèse 2,23) signifie une radicale identité qualitative entre l’homme et la femme,
- « La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme. » (1 Corinthiens 7,4). C’est révolutionnaire pour le contexte du Proche-Orient ancien.

IL S’EN SUIT QUE…
Nous sommes donc mis au défi en tant qu’Église de savoir si la lutte contre le machisme ambiant n’est pas une partie de la Bonne Nouvelle qu’un Christ sauveur veut annoncer à notre culture. Pour autant, comment rejoindre une génération d’hommes à certains égards traumatisée par le choc de représentations de 1968, et les contrecoups inattendus du mouvement — positif ! — de libération de la Femme ? Comment être un homme entre les deux lignes de fuite que sont l’hypervirilité du colosse bodybuildé, d’une part, et l’androgyne des publicités de Jean-Paul Gaultier promouvant explicitement une culture gay, d’autre part ?

En somme, ne serait-il pas vraiment révolutionnaire de parler de l’homme (masculin), via les modèles de la paternité de Dieu (amour et fermeté), de la masculinité de Jésus (tendresse et autorité), etc. ? N’est-ce pas là une façon de s’affranchir d’une culture qui s’est avéré être aliénante ?

Il deviendrait en revanche idéologique de faire de Jésus une icône gay, interprétant au crible d’une androgynie devenue but en soi, justifiant son a-sexualité par son célibat dénoncé plus haut, ou par des versets faciles à tordre dans un but doctrinal : « Un des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur le sein de Jésus. » (Jean 13,23). Pareillement, pourquoi inverser la logique et à tout prix vouloir employer un langage inclusif pour parler de Dieu, l’appeler Mère ou Père/Mère plutôt que d’assumer que l’Écriture l’appelle simplement Père ?

Car là, on ne serait plus dans le « lire » mais dans le « délire ».

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