Savoir dire « non »

 

 

 

 

 

par Stéphane Kakouridis, pasteur à Strasbourg Saint-Nicolas (UEPAL)

Je souhaite me faire ici le porte-parole de nombreux chrétiens qui sont pour l’accueil, le respect, l’écoute et l’accompagnement en Eglise des personnes homosexuelles, tout en étant fermement opposés à la perspective de bénir des couples mariés de même sexe.

Trois raisons d’être défavorables
Notre position est motivée essentiellement par trois arguments.

Notre approche des Ecritures et notre compréhension de l’anthropologie biblique

Quand nous lisons les textes bibliques qui évaluent négativement l’homosexualité, nous ne faisons pas de la distance historique et culturelle qui nous sépare d’eux un prétexte pour les balayer d’un simple revers de main. Et nous n’effectuons pas tout un tas d’acrobaties exégétiques pour tenter de montrer que ce qu’ils désignent n’aurait rien à voir avec ce que nous appelons aujourd’hui « homosexualité ».

Très honnêtement, la condamnation constante de l’homosexualité qui traverse les deux Testaments nous gêne. Mais nous ne nous plaçons pas au- dessus des données bibliques. Il ne s’agit pas de nous livrer à une lecture servile, littérale et légaliste des Ecritures ; il s’agit simplement de ne pas évacuer leur force d’interpellation. Nous essayons donc de nous laisser « travailler » par elles et de comprendre ce qu’il y a derrière cette évaluation négative de ce que nous appelons aujourd’hui « homosexualité ».

Nous découvrons alors que ce qui s’y trouve, c’est une certaine conception de la création et de l’anthropologie. En Genèse 1, Dieu crée en ordonnant le chaos; il le structure via un processus de différenciation (séparation de la lumière et des ténèbres, du sec et du mouillé, etc…) La Parole créatrice et rédemptrice qui s’est donnée un visage en Jésus Christ œuvre en sauvant le réel de la confusion.

D’où une anthropologie de la différentiation. Celle-ci trouve son socle, sa parole fondatrice en Genèse 1.27 : « Dieu créa l’homme à son image ; à l’image de Dieu il le créa. Mâle et femelle il les créa. » Voilà ce qui est important à retenir !

L’être humain voulu par Dieu, c’est un homme et une femme qui s’aiment, et qui à travers leur relation dans la différence, constituent l’image de Dieu. Un partenariat homosexuel n’est pas l’équivalent du couple hétérosexuel au sein duquel homme et femme expérimentent la différenciation sexuée : différenciation sexuée à travers laquelle ils sont appelés à vivre l’ouverture à une altérité qui est métaphore de l’altérité de Dieu.

Notre vision de l’Eglise

Notre vision de l’Eglise, ce n’est pas une Eglise qui s’aligne purement et simplement sur les évolutions sociales. Ce n’est pas une Eglise conformiste qui accroche son wagon au train du mariage pour tous: une Eglise qui suit le mouvement général de la société qui confond égalité et indifférenciation parce qu’elle est engluée dans une idéologie du relativisme. Ce n’est pas une Eglise démagogique prête à tout pour plaire à cette société, quitte à déconstruire l’anthropologie de la Parole qui la fonde… Ce n’est pas une Eglise devenue insignifiante parce qu’elle tient le même discours que le monde qui l’entoure, montrant ainsi qu’elle n’a plus rien à lui apporter. Ce n’est pas une Eglise qui ajoute à la confusion générale en annonçant que toutes les conjugalités se valent. Ce n’est pas une Eglise qui prêche la « grâce à bon marché » et qui réduit l’Evangile à des sentiments généreux et des bonnes intentions, comme s’il s’agissait de l’Evangile des Bisounours !

L’Eglise que nous voulons c’est plutôt une Eglise qui sait nager à contre-courant pour apporter des repères clairs à nos contemporains ! C’est une Eglise qui assume sa mission prophétique à travers des paroles structurantes.

Nous pensons que la juste posture de l’Eglise ne se trouve ni du côté de l’homophobie, ni de celui

du relativisme. La fidélité au témoignage biblique, telle que nous la concevons, nous invite à nous tenir courageusement sur une ligne de crête qui implique à la fois amour et fermeté.

L’Unité

La perspective de bénir des couples mariés de même sexe menace l’Unité de l’Eglise. Au sein de l’Uepal, elle entraîne des risques importants de tensions, de divisions et de départs.

Le nombre grandissant d’Eglises qui pratiquent ce type de bénédiction menace de plus en plus de faire éclater les grandes Communions d’Eglises. A titre d’exemple, les Eglises de l’hémisphère Sud menacent de quitter la Fédération Luthérienne Mondiale.

Se pose enfin un problème œcuménique. Nous risquons en effet de nous marginaliser au sein du christianisme dans notre région et de nous rendre inaudibles… puisque orthodoxes, catholiques et évangéliques ont à peu près le même point de vue sur le sujet.

 

Accueillir
Accueillir les personnes homosexuelles en Eglise, c’est d’abord tenter de nous inspirer de l’attitude d’accueil du Seigneur Jésus à l’égard de toutes personnes, sans distinction.

Cela implique donc notamment de refuser toute forme d’homophobie et de proscrire tous les propos et toutes les attitudes qui stigmatisent, discriminent et culpabilisent. Rappelons aussi que les personnes homosexuelles qui croient en Jésus Christ sont définies, comme les autres, par leur foi. Personne n’est réductible à son orientation sexuelle. Ce qui définit l’identité chrétienne, c’est la foi en Jésus Christ.

Accueillir les personnes homosexuelles en Eglise, c’est bien entendu aussi leur donner toute leur place au sein des activités des paroisses.

Mais accueillir, ce n’est pas dire « oui » à tout. Si un couple marié de même sexe vient nous demander de célébrer un culte de bénédiction nuptiale, nous répondrons que nous sommes liés par notre compréhension des Ecritures et que nous ne pouvons par conséquent pas satisfaire leur demande. Par contre, nous nous mettrons à l’écoute de ces personnes et nous leur proposerons de prier avec elles pour leur permettre de déposer devant Dieu leur joies et leur peines, leur passé, leur présent et leur avenir. Nous cheminerons avec elles, devant Dieu.

Dire « non » à la demande de bénédiction d’un couple marié de même sexe, ce n’est pas nécessairement les discriminer. Il ne s’agit pas de les exclure. Il s’agit simplement de poser des repères, des limites et des distinctions. Nous considérons comme trop simple – pour ne pas dire simpliste – l’affirmation selon laquelle accueillir, c’est obligatoirement bénir.

 

Bénir
Dieu nous bénit ; nous bénissons en son nom et nous Le bénissons Lui en retour, c’est-à-dire que nous reconnaissons sa sollicitude et nous l’en remercions, nous lui en rendons grâces.

Lemot«bénir»,enhébreusedit«Barak».Ce verbe est composé de « bara » qui veut dire « créer » (tiens ! encore la création !) et de la lettre Kaph. Kaph est aussi un mot qui désigne la paume de la main. D’ailleurs la lettre Kaph a la forme d’une main ouverte.

Ainsi, quand le Seigneur nous bénit, il nous prend dans le creux de Sa Main pour inscrire nos vies dans son projet créateur, dans la perspective du bon ordonnancement du monde.

La lettre Kaph qui désigne la paume de la main nous renvoie à la parole du Seigneur en Esaïe 14.16 : « j’ai ton nom gravé sur les paumes de mes mains.» Le Kaph du verbe bénir nous rappelle donc que le Seigneur a inscrit nos noms dans la paume de ses mains : nous sommes précieux pour lui et Il ne nous abandonne jamais. Etre béni de Dieu, c’est aussi être porté dans le creux de sa main, quelque soient les circonstances !

Pour donner la bénédiction de la part de Dieu, on ouvre les mains qu’on tourne vers les autres. Or, une main ouverte s’oppose au poing fermé qui menace ou qui frappe. La main ouverte, c’est plutôt la main qui caresse. De plus, la main ouverte montre qu’elle ne tient pas d’arme pour blesser : c’est la main qui fait un geste de paix et qui dit la bienveillance.

Donc, la bénédiction c’est la proclamation et la manifestation de la bienveillance de Dieu et de l’attention qu’il nous porte. Comme le souligne le mot bénédiction en grec – « eulogia » – il s’agit d’une bonne parole, une parole qui dit du bien ! Lorsque nous bénissons quelqu’un, nous disons la sollicitude de Dieu pour cette personne.

Nous devons par conséquent bénir en son nom toute personne, sans exception. Cependant, nous ne pouvons pas bénir en son nom des actes, des comportements, des relations et des projets qui sont contraires à Sa Volonté et à Son Dessein créateurs. Dans la mesure où la bénédiction nuptiale intègre la communauté de vie de deux personnes, elle implique aussi une approbation, une sorte de légitimation qui vient de Dieu. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas que nos Eglises bénissent des couples mariés de même sexe. Ce type de rite s’inscrirait sous le signe de la confusion et de l’indifférenciation.

 

Retour sur la Bible

Premier et rapide coup d’œil

Dans la Bible il y a cinq textes qui parlent directement de l’homosexualité pour à chaque fois la condamner. Dans le Premier Testament, il y en a deux. Lévitique 18.22 et Lévitique 20.13. Dans le Nouveau Testament, il y en a trois : Romains 1.26-27, 1 Corinthiens 6.9-10 et 1 Timothée 1.10-11.

Arrêt sur Romains 1.26-27

Arrêtons-nous sur le texte le plus explicite sur le sujet : Romains 1.26-27. Mais avant d’examiner ces deux versets, replaçons-les dans leur contexte historique et culturel. Il s’agit de la société romaine du premier siècle.

Du point de vue de la morale dominante, un homme libre devait d’une part être toujours « celui qui donne » (c’est-à-dire celui qui pénètre l’autre) et d’autre part ne pas céder à la passion amoureuse. Il en résultait qu’il pouvait avoir des rapports sexuels avec qui il voulait : sa femme, ses concubines, des prostituées, ses esclaves, femmes ou hommes, jeunes ou adultes. Donc un homme libre pouvait avoir des relations homosexuelles, en particulier avec ses esclaves, à condition de rester le « dominant » et de ne pas avoir de passion amoureuse… Dans cette perspective, il pouvait même avoir des pratiques de pédophile. L’homosexualité devenait « contre nature » quand l’esclave était le « pénétrant » dans les rapports sexuels, le citoyen libre étant le « pénétré ». L’ordre social était alors renversé.

Autre pratique rejetée par la morale sociale majoritaire : les rapports sexuels entre deux hommes libres adultes. Si un homme avait des rapports sexuels avec un garçon libre, dès que celui-ci devenait adulte, il ne devait plus le toucher.

Certaines personnes, certes marginales, contestaient cet ordre social dominant. Des hommes libres revendiquaient le droit de coucher ensemble. Et des femmes libres revendiquaient le droit de pratiquer l’homosexualité féminine.

Deux remarques sur ces informations : 1°/ Les hommes libres qui pratiquaient l’abus sexuel n’avaient pas pour victime que des sujets masculins, mais aussi féminins. 2°/ Les rapports librement consentis entre deux personnes de même sexe existaient aussi.

Penchons-nous maintenant sur les propos de Paul : « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes, car leurs femmes ont remplacé les relations sexuelles naturelles par des actes contre nature ; et de même les hommes, abandonnant les relations naturelles avec la femme, se sont enflammés dans leurs désirs, les uns pour les autres ; ils commettent l’infamie, homme avec homme, et reçoivent en eux-mêmes le salaire que mérite leur égarement.»

Ici la morale dominante de l’Empire romain est contestée. La Parole de Dieu ne s’aligne pas sur le consensus largement partagé par la société environnante. Elle agit à contre courant. Mais l’apôtre fait plus que s’opposer à la morale majoritaire de l’empire romain (qui jugeait acceptable l’abus sexuel tant que celui-ci restait le privilège des hommes libres). Ici, toute forme d’homosexualité – masculine et féminine – est clairement récusée. Il n’y a pas de cas autorisés. Si Paul s’en prenait ici uniquement à l’abus sexuel et à la pédophilie, comme le prétendent certains, pourquoi ferait-il donc uniquement référence à l’agression sur des personnes de même sexe que l’abuseur ? De plus, les rapports entre personnes adultes consentantes de même sexe constituaient une réalité connue de Paul et de ses contemporains.

Situons maintenant ces deux versets dans le cadre plus large de Romains 1 à 3. Voici un résumé du raisonnement : Tous, juifs et païens, sont égarés, séparés de Dieu : l’ensemble de la société est sous la puissance du péché. Tous ont donc besoin de la grâce. Le péché, c’est la séparation d’avec Dieu ; c’est l’idolâtrie. Et l’homosexualité est un symptôme parmi d’autres de notre réalité pécheresse. A la suite du judaïsme de son temps, Paul considère certainement l’homosexualité comme une négation du bon ordonnancement du monde, de la structuration de la création voulue par Dieu. D’où la reprise du concept stoïcien de « contre nature » pour désigner cette orientation sexuelle. Il pense de façon implicite au fait que Dieu a créé le monde en ordonnant le chaos et en faisant surgir des différences. Or, tout ce qui tend à annuler ces différences menace l’équilibre du monde. Il y a à la fois des limites et des distinctions à respecter.

Incapables de suivre l’apôtre en toutes choses ? (Paul et le ministère féminin)

Ouvrons ici une parenthèse. On entend souvent dire que si on voulait suivre Paul en toutes choses, il faudrait aussi refuser l’accès des femmes au ministère pastoral puisqu’en 1 Corinthiens 14.34, il ordonne « que les femmes se taisent dans les assemblées »

C’est faux ! Le ministère féminin est biblique et même paulinien puisqu’en Romains 16, l’apôtre il cite plusieurs de ses collaboratrices, dont Junia qui avait le tire d’apôtre. Par ailleurs, en 1 Corinthiens, Paul donne aussi des consignes aux femmes quant à l’exercice de la prophétie en assemblée : s’il voulait leur imposer silence, il ne les autoriserait pas à prophétiser.

Quand à la fameuse phrase, «que les femmes se taisent dans les assemblées », certains exégètes pensent que ce verset constitue un ajout puisqu’il vient comme un cheveu sur la soupe. D’autres pensent que ce verset est authentique, mais qu’il vise simplement à demander aux femmes de ne pas bavarder et de ne pas interrompre le prédicateur pendant le culte.

Le couple homme-femme

Etant établi que Paul évalue négativement l’homosexualité qu’il considère comme une négation de la bonne Création de Dieu, revenons à l’anthropologie biblique de la différentiation, déjà évoquée.

En Matthieu 19.3-9, lorsque Jésus s’oppose à la pratique de la répudiation de la femme, il se réfère à la Volonté du Créateur en citant cette parole de Genèse 2.24 : « L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair. » Il rappelle ainsi l’importance de l’union de l’homme et de la femme dans le projet de la création.

Ce couple homme-femme constitue une réalité tellement importante dans la Bible qu’il sert à désigner la relation qui unit Dieu à son peuple dans le Premier Testament, puis le Christ à son Eglise dans le Nouveau. Jésus est l’Epoux dont l’Eglise est l’épouse: le principe de la complémentarité homme-femme trouve son apogée dans les Noces de l’Agneau.

Stéphane Kakouridis
Pasteur à Strasbourg-Saint Nicolas,
Communauté charismatique et régionale, à vocation œcuménique (UEPAL)

Strasbourg, le 15 avril 2014

Ce texte s’inspire des notes prises en vue d’une participation à une Table Ronde sur le sujet, le 12 avril 2014 à Sélestat, dans le cadre d’une Journée de l’Ethique organisée par le Consistoire luthérien de Sélestat.