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Comment nous bénissons les homosexuels

Par Gilles Boucomont, pasteur de l’Eglise protestante unie du Marais, quartier gay de Paris

Dans un texte datant de 2012, le conseil presbytéral de l’Eglise protestante unie du Marais avait pris position pour un moratoire sur la question d’une évolution dans l’Eglise vers la bénédiction de couples homosexuels. A l’époque du débat civil sur le mariage de couples de même sexe, il avait sollicité que soient profondément révisées les lois sur le PACS, pour plus de justice sociale, mais que pour l’Eglise réformée soit maintenu le statu quo de 2004.

Pour autant un pasteur leader de la cause LGBT reconnaissait récemment que dans la sphère luthéro-réformée, cette même paroisse était presque la seule à pouvoir prétendre aux critères de l’inclusivité :
- tout être humain à la même valeur, quel que soit son sexe,
- tout être humain à la même valeur, quel que soit son orientation sexuelle,
- tout être humain est accueilli à l’église comme il est, et peut repartir changé par l’Évangile,
- l’identité sexuelle n’est pas le tout de l’identité,
- l’amour de Dieu est donné inconditionnellement à chacun,
- l’amour de Dieu conduit chacun à la repentance, pour une vie sanctifiée,
- chaque personne peut / doit être accompagnée personnellement,
- l’ostracisation d’un public spécifique dans l’Église est une abomination,
- l’homophobie n’est pas compatible avec la foi chrétienne.

Comment se peut-il qu’une paroisse opposée à la bénédiction d’homosexuels soit la paroisse qui pratique pour tant de personnes un accompagnement spirituel large et qui, de fait, se retrouve à bénir un nombre particulièrement important de personnes dites homosexuelles ?

 

Clarifier l’anthropologie

Nous l’avons développé ailleurs, mais une des bases de la pastorale locale de cette Eglise consiste à dénoncer un clivage admis de tous, et qui se veut descriptif au niveau comportemental, mais qui produit des effets mensongers, incompatibles avec les anthropologies bibliques. Il s’agit du clivage homosexuel/hétérosexuel.

Normaliser « l’hétérosexualité » comme un summum du projet de Dieu dans les Ecritures bibliques est un mensonge, car le projet de Dieu n’est pas de faire de nous des hétérosexuels, mais des personnes qui vont être complétées par UNE seule et unique personne, du sexe opposé.

Le texte qui fonde l’humanité sexuée (Genèse 1:27) en une seule séquence créationnelle va insister sur le fait que cette complémentarité homme-femme fait de l’humain une vraie image de Dieu. Dans le projet divin qui précédait, il s’agissait que l’humain soit créé non seulement « à son image » mais aussi « à sa ressemblance ». Or, lorsque l’humain mâle et femelle est créé, Dieu dit qu’il l’est à son image. Exit la ressemblance. Le but de la vie humaine est donc d’adjoindre la ressemblance à l’image. C’est très certainement le lieu que la tradition chrétienne appelle la sanctification : se conformer à l’image du Dieu vivant. C’est dans ce lieu-là que nous développons localement l’accompagnement spirituel : donner à chacun la possibilité de ressembler à Christ. « Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. » (Galates 3:27).
A juste titre, les théologiens LGBT rappellent que le deuxième texte créationnel fonde l’humanité sexuée dans un second temps. L’humain, non sexué, est créé d’abord. La sexualité n’est donc pas une identité première. C’est dans un second temps que l’humain est dissocié par l’opération de la côte d’un Adam qui est « humanité » et non « Monsieur Adam ». De cette opération naît la double présence de l’homme (ish) et de la femme (ishah), qui aboutit au cri d’amour de Monsieur : « Voici, elle est l’os de mes os et la chair de ma chair » (Genèse 2:23). C’est surtout la ressemblance et ce que les philosophes contemporains appellent la « mêmeté » qui est mise en valeur par ce texte. Ils sont qualitativement identiques — c’est révolutionnaire. Et pourtant, a contrario de ce qu’affirment les théologiens LGBT,  de l’altérité véritable advient (un « ah » en plus à la fin de « ish ») qui permet la Joie d’une identité désormais relationnelle pour l’humain sexué.

 

Il n’y a ni homosexuels ni hétérosexuels

Le projet de Dieu est donc que l’être humain mâle, ou l’être humain femelle, devienne pleinement humain en trouvant la moitié de lui-même. Il s’agit juste de trouver la personne adéquate, qui est celle qui me fera advenir à ma propre identité, à mon moi véritable. L’enjeu n’est pas copulatoire, car sinon Adam se serait satisfait de l’un ou l’autre des animaux qui avaient précédemment défilé devant lui à la queue-leu-leu. Il s’agit bien de trouver un être unique. L’enjeu n’est même pas de trouver, pour moi qui suis un homme, des femmes ou une femme qui me plaisent, avec qui cela fonctionne, mais de trouver la femme unique qui est ma moitié, et qui me permet de ne plus croire que je suis un être humain complet. Ils étaient deux et ils forment une seule chair, « un seul être » (Genèse 2:24).

Il y a donc un mensonge à dire que le projet de Dieu est de promouvoir l’hétérosexualité.

Car le terme hétérosexualité induit une disponibilité de ma personne (puisque je suis un homme) pour toutes les femmes ! Alors que je suis destiné à une femme, la mienne, pour que je sois son homme. « La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme. » (1 Corinthiens 7:4). Tout simplement parce qu’ils sont une seule chair ; une seule personne ou un seul être comme proposeront d’autres traductions.

S’il y a un mensonge à parler donc d’hétérosexualité, il y a un mensonge identique à parler d’homosexualité. Il y a seulement des gens qui se croient attirés par des personnes de même sexe, des gens qui pensent avoir toujours été faits pour des personnes de même sexe, des gens qui pensent s’être découverts progressivement faits pour des personnes de même sexe. Mais c’est une identité de construction, posée telle un habit sur l’identité humaine toute autre prévue par le Dieu de Jésus-Christ. Une identité falsifié comme s’en fabriquent les soi-disant hétérosexuels.

La Bible est incroyablement riche en exemples pour nous montrer des façons d’être hétérosexuel sur un mode dysfonctionnel !

C’est notre société qui nous impose de nous installer dans une identité à ce point fixée et labellisée par des appellations fallacieuses. Aucune personne N’EST homosexuelle pas plus que qui que ce soit ne serait hétérosexuel selon la définition que nous en avons donnée. Notre être tel que Dieu l’a programmé est qu’on soit ou bien célibataire, ou bien dûment uni à la personne de l’autre sexe qui fera pour toujours notre joie.
Mais cette manie de poser des termes sur notre être et notre identité plutôt que de ne décrire que des comportements nous empêchent de voir seulement :
- des hommes qui sont attirés par plusieurs femmes plutôt que  des « Dom Juan »,
- des femmes qui sont attirées par plusieurs hommes plutôt que des « séductrices »,
- des hommes qui sont attirés par des adolescentes plutôt que des « pédophiles »,
- des femmes qui sont attirées par des très jeunes hommes plutôt que des « cougars »,
- des hommes qui sont attirés par des hommes plutôt que des « gays »,
- des femmes qui sont attirées par des femmes plutôt que des « lesbiennes »…
Non ! rien de tout cela ! Personne N’EST cela !

Ces paroles, prononcées sur des créatures de Dieu, sont des malédictions !

Il y a seulement des gens qui ont du mal à rentrer dans le projet de Dieu et qui se focalisent sur ce que les psychologues appellent « de mauvais objets ». Que des non-chrétiens le fassent, cela ne nous pose aucun problème. C’est la loi du monde. Mais pour nous qui sommes chrétiens c’est fini, ce n’est plus possible.

 

Bénir ceux qui se croient encore homosexuels

« Ceux qui sont à Jésus-Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs. » (Galates 5:24). Le chrétien a décidé d’entrer pleinement dans le projet de vie scripturaire : une conjugalité d’alliance. Je ne parle même pas de « mariage », qui est bien une institution humaine. C’est un contrat parmi d’autres, comme le PACS, comme le certificat de concubinage. Je parle de l’alliance de mariage et pas du contrat de mariage. Les contrats ont été fondés par le Serpent de Genèse 3 et sont gérés par Mammon. Les contrats sont essentiellement composés de clauses qui modélisent la rupture, l’infidélité, la sortie du projet. L’alliance est une œuvre de Dieu lui-même et non pas une association d’humains contractuelle vaguement exposée au regard de Dieu. Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu de l’alliance. Le Serpent est le maître des contrats. L’Église bénit donc ce que Dieu bénit.

Le rôle bénissant de l’Église est donc de prononcer la liberté qui jaillit de la crucifixion de la chair avec ses passions et ses désirs. L’Église bénit des pécheurs et ne cautionne pas leur péché. Elle bénit des pécheurs qui sont prêts à se repentir et à entrer dans la sanctification. Elle bénit des pécheurs pour leur permettre, parfois APRÈS avoir été bénis, de reconnaître leur péché.

« Je confesse comme péché d’avoir considéré que j’étais hétérosexuel, et qu’incidemment, toutes les femmes de la terre étaient disponibles pour moi. »

Le péché, ce sont toutes ces identités artificielles dont s’est revêtue la créature de Dieu. Voilà pourquoi nous bénissons ceux qui se proclament homosexuels.
Nous les bénissons pour qu’ils quittent l’Egypte intérieure d’une définition mensongère d’eux-mêmes. Et nous les bénissons, à cet égard, exactement de la même façon que nous bénissons ceux qui pensent que leur identité est dans leur travail, ou dans leur nombre de followers sur Twitter. Bref, nous bénissons individuellement des humains qui ont endossé des vêtements sordides plutôt que de revêtir leur identité véritable.
« Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et n’ayez pas soin de la chair pour en satisfaire les convoitises. » (Romains 13:14)

C’est donc pour cette même raison que nous ne pouvons pas bénir un couple homosexuel, pas plus que nous ne prononcerions une bénédiction sur un couple homme-femme dûment passé par la mairie, s’il nous semble que ce couple est dans un mode relationnel dissymétrique et dangereux, de type père-fille plutôt que mari-femme, par exemple.

Nous bénissons des se-disant « homosexuels » individuellement :
- certains qui vivent une vie avec un partenaire dans la fidélité et depuis longtemps,
- certains qui sont dans un badinage flottant,
- certains qui s’astreignent à l’abstinence,
- certains qui souffrent bruyamment, victimes d’homophobie,
- certains qui souffrent en silence, insatisfaits par leur orientation…
Nous les bénissons parce que nous revenons, nous aussi, de loin. Parce que nous sommes nous-mêmes des grâciés, des fils et des filles de la bénédiction, qui sont, eux-aussi passés par le crible de la justice de Dieu et de la repentance, qui ont du se laisser « dépouiller du vieil homme et de ses œuvres » (Colossiens 3:9). Et que la clémence du Dieu vivant pour nous a été telle que nous serons les dernier à juger d’autres pécheurs comme si leur péché à eux était plus infamant que le nôtre.

« Tous ont péché et tous sont privés de la gloire de Dieu. Mais dans sa bonté, Dieu les rend justes gratuitement par Jésus-Christ, qui les libère du péché. »
Romains 3:23-24

Bénir, dire le « Bien ! » de Dieu

Prédication donnée au Temple du Marais le dimanche 2 mars à 10h30

En voici le texte.

Nombres 6,23-27 : la bénédiction sacerdotale, une parole du Seigneur à Moïse : « Voici comment seront bénis les Israélites ».

Jacques 1,5-8 : demander la sagesse à Dieu, plutôt d’avancer et reculer sans cesse.

Romains 12,14 : Bénissez et ne maudissez pas

 

PREDICATION

Ceux qui suivent l’actualité de l’Eglise protestante unie de France savent que nous travaillons jusqu’à l’Ascension 2015 sur le dossier « Bénédiction ». Nous faisons des retrouvailles avec cette thématique de la bénédiction pour comprendre ce que « bénir » veut dire.

Quand on cherche à comprendre ce qu’un mot veut dire, j’imagine que votre réflexe doit être le même que le mien : on va chercher dans un dictionnaire, ou un dictionnaire d’étymologie. Et quand on a lu ce mot dans les Ecritures bibliques, on va essayer de voir ce qu’il veut dire en hébreu, en grec, pour commencer à faire le tour de la question.
« Bénir », qu’est-ce que cela signifie ? Bénédiction, en français, c’est assez facile à comprendre : bene c’est « bien » et diction c’est « dire ». Une bénédiction, c’est quand on dit quelque chose de bien, quand on dit le bien sur la personne. Ca c’est en français avec notre racine latine. En hébreu, c’est un mot que vous connaissez parce que c’est le premier prénom du président américain : barack. La bénédiction signifie alors quelque chose qui est transmis positivement d’un père à son fils, un héritage. C’est ce geste qu’ont fait les différents patriarches avec leurs enfants, de mettre leur main sur leur tête. Il y a quelques patriarches plaisantins qui ont croisé les mains, pour que la bénédiction n’aille pas sur l’aîné, mais sur le cadet, puisque c’est la bénédiction de la main droite qui est la plus forte… Donc il y a tout un enjeu dans cette bénédiction, dans cette transmission : c’est comme si on transmettait tout un héritage, à la fois financier, mais c’est presque la plus petite partie de ce qui est transmis ; surtout l’héritage du nom, de la primauté dans la famille, l’héritage de la fonction de chef de famille, l’héritage de toute l’histoire de l’ethnie, etc. Cette bénédiction est une parole bonne, une parole de transmission de ce qu’il y a de meilleur, de ce qu’il y a de bon.

Mais à force d’être conscients de cette étymologie comme quoi « bénir » c’est dire du bien, à force de l’avoir dit jusque dans nos liturgies de mariage, puisque dans celle de l’Eglise réformée de France, il y avait cette phrase : « Bénir, c’est dire du bien de quelqu’un et faire tout son possible pour que ce bien s’accomplisse ». Une très belle phrase ! En même temps, nous avons laissé glisser petit à petit le sens de cette bénédiction comme étant juste une forme de la pensée positive, c’est-à-dire donner des paroles gentilles, donner des paroles sympathiques ; dire un peu à l’américaine : « Vous êtes formidable ! ». Dire, parce que c’est bien mieux pour les relations interpersonnelles : « Ah, j’aime beaucoup ce que vous faites ! ». Vous voyez ces paroles de valorisation. C’est bien, essentiel de pouvoir avoir une parole de valorisation pour un individu, mais en même temps, quand on parle de bénédiction dans les Ecritures, on n’est pas forcément dans l’idée d’une parole de valorisation au sens de l’émotion qui va accueillir cette bénédiction en disant : « Ah, ça me fait du bien ! Ah, ça me fait plaisir ! ».

Dans l’idée de bénédiction il n’y a pas d’abord les émotions, les sentiments ou le sentimentalisme, il y a vraiment l’idée de transmettre quelque chose qui est bien, qui est bon ». Et qu’est-ce qui est bien ? Qu’est-ce qui est bon ? La grande difficulté, c’est que depuis Genèse 3, nous ne savons… plus. C’est la quête fondamentale de l’être humain de dire : « Je vais maîtriser ce qui est bien et ce qui est mal. Je vais réussir à manger de cet arbre de la connaissance du bien et du mal, dont Dieu m’a dit de ne pas même essayer d’en manger parce que je ne saurai pas en gérer les conséquences. » Mais le serpent me dit : « Goûte, goûte, goûte, tu vas voir. Ca va être bon ! ». Il ne le dit pas mais sa pensée, derrière, c’est : « Tu vas être dans l’illusion de la maîtrise de toutes les choses de ta vie, et tu vas croire que c’est bon de maîtriser ». Voilà : ça c’est la proposition du serpent. Et donc on se retrouve avec cette illusion de pouvoir, d’une façon ou d’une autre, connaître, comprendre, et donc prendre, tenir, avoir l’illusion de saisir véritablement les choses qui sont bonnes et qui sont mauvaises dans notre vie, alors que notre expérience, dès qu’on a dépassé un tout petit peu l’adolescence, et même si on la dépasse parfois tardivement, c’est quand même qu’on ne comprend globalement pas ce qui est bon et ce qui est mauvais… Combien de fois avez-vous fait un geste, une action, essayé de transmettre une parole dont vous avez voulu qu’elle soit bonne pour celui qui devait la recevoir, et ça a porté à conséquence de façon catastrophique ? C’est la base même de l’action humanitaire : la générosité qui détruit tous les pays économiques dans les pays qu’on va aider.

Donc, ce désir de bien faire est profondément en nous, mais en même temps, depuis le commencement du monde, nous apprenons grâce aux Ecritures bibliques que nous ne savons pas nous y prendre correctement. Et il y a une véritable clé dans cette parole de bénédiction fondamentale (parce que c’est la parole de bénédiction de Nombres 6 qui est centrale pour juif, tout israélite pratiquant : que le Seigneur te bénisse et te garde, qu’il fasse resplendir sur toi la lumière et qu’il te donne sa paix). Nous connaissons bien parce que nous disons souvent cette parole à la fin du culte, mais il y a surtout le fameux verset 27 avec un ajout du Seigneur : « Quand vous bénirez les gens de cette façon-là, c’est Moi qui activerai la bénédiction. » C’est-à-dire que bénir n’est pas, ou n’est plus simplement le fait de dire du bien. Parce que quel est le système de pensée qui va catégoriser que ce soit bien ou que ce soit mal ? Aujourd’hui, quand on a 14 ans et qu’on est une fille, c’est « bien » d’avoir une minijupe qui ne couvre plus rien… Mais est-ce que c’est un bien ultime ? Aujourd’hui, quand on a 21 ans et qu’on est un garçon, c’est « bien » de prendre un air de caïd mafieux… Mais, est-ce que c’est bien dans l’absolu ? C’est bien pour un groupe de pensée. C’est bien à l’intérieur d’un petit système de référence, qui est celui d’un groupe, mais est-ce que c’est Bien avec un B majuscule ? C’est ça la question.

Et il a donc cette clé de lecture profonde dans le verset 27 de Nombre 6 : « C’est bien si J’ai dit que c’était bien, dit le Seigneur. Si moi, l’Eternel créateur du ciel et de la terre, sauveur de l’humanité, consolateur de tout cœur brisé, si Moi Je dis que c’est bien, eh bien c’est bien… Et si Je dis que ce n’est pas bien, ça n’est pas bien ». C’est la base même de l’activité de Dieu. Pensez toujours à notre fameux livre de la Genèse. Quand Dieu crée les choses, il dit : « C’est bien ! Ah, c’est bon ! Tov, en hébreu. » lisons-nous dans nos traduction bibliques. C’est un cri de Dieu, à chaque fois qu’il fait quelque chose dans la création : « C’est bien, c’est bien, c’est bien ! ». Et même quand il il crée l’être humain, il dit : « Ah ça c’est très bien ! ». Ce qui signifie que si vous dites qu’un être humain est une crevure ou qu’il n’est rien, vous êtes juste en train de proclamer l’inverse de ce que l’Eternel a proclamé sur lui. Il faut s’en rappeler, quand même. Dieu a dit c’est très bien. Aussi, quand on est dans une anthropologie hyper pessimiste et que l’on voit des gens se plaindre : « Oh là là, l’humanité, on s’en sortira jamais, on est tous pourris, etc. », ce n’est pas le projet de Dieu, ce n’est pas le discours de Dieu. Dieu connaît ce qui s’est passé après, à savoir la chute, mais il sait que son projet initial, c’est quand même ce « très bien » qui n’a pas été prononcé sur autre chose que sur l’être humain, au commencement du monde. Et puis au bout d’un moment, le Seigneur dit : « Ce n’est pas bien ! Lo Tov en hébreu ». Quand est-ce qu’il dit ça ? Il le dit quand Adam s’embête à mourir, qu’il est tout seul. Alors, quand nous dirons : « La solitude, l’autonomie, c’est le summum de l’accomplissement humain », nous pensons que c’est une bénédiction dans notre système de référence sur cette terre. Mais dans le système de référence du créateur du ciel et de la terre, c’est la pire des malédiction : l’autonomie, je me fixe mes propres lois à moi, je suis le centre de mon monde. C’est une malédiction terrible d’isolement.

La bénédiction dans les Ecritures  bibliques n’est rien d’autre qu’un écho au « BIEN ! » que Dieu aura proclamé à un moment ou à un autre, sur telle ou telle chose. Quand nous bénissons, ainsi que les grands prêtres d’Israël, nous ne faisons que répéter, dupliquer, et répondre, au sens de l’écho, qui répète 4 fois la même parole. Nous ne faisons qu’être un écho du « BIEN ! » de Dieu proclamé sur telle ou telle chose. Alors de quel droit, en tant qu’humains, nous dirions qu’autre choses est bien ?

Nous en avons tout le droit, effectivement si nous sommes des humains, ou plus précisément, si nous sommes simplement des citoyens, des contribuables, des français, des athées,… je ne sais pas comment vous vous définissez.  Nous avons droit de dire de tout ce qu’on veut que c’est bien. Mais quand nous sommes « chrétiens », ou juifs, nous perdons ce droit de dire un peu au hasard de nos sentiments que telle chose est bonne et que telle chose est mauvaise. Nous devons absolument rentrer dans ce système d’écho. Nous devons percevoir quelles ont été les bénédictions fondamentales que le Seigneur a posées, quelles sont les malédiction fondamentales que le Seigneur a posées (parce qu’il a dit de certaines choses que c’était mauvais, et c’est ça une malédiction !). Et si tu le fais, c’est mauvais pour toi. Donc si nous sommes simplement des gentils français athées, il n’y a aucun problème que nous disions de n’importe quoi que ce soit bien. Mais si nous disons que celui qui régule notre existence, celui qui nourrit notre foi, celui qui fait avancer notre réflexion est bien le Père de Jésus-Christ, alors, nous ne sommes plus dans une espèce de libre-arbitre, une liberté sans limite pour dire ce qui est bien et ce qui n’est pas bien. Evidemment que dans de nombreux préceptes des Ecritures, nous pourrons prendre du recul et nous douter que certaines exigences qui se trouvent même dans la Bible ne sont pas des exigence qui seraient directement celles de Dieu, mais qui peuvent être des exigences propres à la culture hébraïque, à la culture proche-orientale, à la culture juive. L’interdit massif de manger du lièvre n’a quand même pas la même importance que l’interdit de dire du mal d’un être humain. Nous pouvons effectivement prendre un peu de recul par rapport à certains « Bon » et certains « Mauvais » proclamés par certains passages, mais pour autant nous ne pouvons pas, comme je l’évoquais dans l’exemple de tout à l’heure, dire qu’une vie coupée de toute relation, une vie d’isolement serait une chose bonne. Parce que c’est le premier « Mauvais » que Dieu a prononcé.

Dans notre réflexion sur toutes les conséquences pratiques quant à toutes ces bénédictions que l’Eglise donne, nous sommes effectivement prêts à bénir chaque être humain, parce que tout être humain doit être béni, et encore plus par ceux qui agissent au nom de Jésus-Christ. Mais quand je bénis un être humain, je ne bénis pas forcément tout ce dont il est porteur : certains de ses choix politiques peuvent être effrayants, certains de ses choix de vie peuvent être bizarres. Je ne suis pas obligé de bénir cela quand je bénis sa personne. Je bénis la créature de Dieu, et pas ce qui a été transformé par la culture, les habitudes, l’éducation et le reste. Je bénis une personne sans cautionner tout ce que cette personne peut véhiculer. Et quand je commence à vouloir bénir une institution, bénir les autorités, comme nous y invite Paul, quand je pense bénir des types d’unions humaines, comme une église ou un couples, ce qui doit faire référence, ce sont les Ecritures bibliques, simplement en écho à ce dont Dieu a dit « Ca c’est bien ; mais ça ce n’est pas terrible ». Voyez, nous pouvons bénir sans juger, nous pouvons bénir sans ostraciser. Nous pouvons aussi refuser de bénir quand on nous demandera de bénir une Mercedes pour qu’elle gagne les 24h du Mans. C’est un choix que nous faisons, et nous ne le faisons pas selon notre bon-vouloir, selon notre bon plaisir, mais nous le faisons simplement parce que l’Eternel a dit en Nombres 6,27 : « Quand tu béniras de cette façon-là que Je t’indique, c’est Moi qui bénirai ». Amen.

Bénédiction fragilisée

La conception huguenote française du mariage est très particulière car elle presque plus enracinée dans l’histoire de l’Église protestante en France que dans les Écritures bibliques.

Au sortir de l’Ancien Régime, les protestants se réjouissent que l’État leur propose un mariage qui devienne civil, et ne soit plus simplement soumis à l’allégeance à l’Église catholique romaine et ses registres de mariage, qui faisaient loi en matière de conjugalité et de succession jusque là. La loi du 20 septembre 1792 instaure à ce titre un État Civil.

C’est de ce moment que date la grande affection du protestantisme réformé pour le mariage civil. Par la suite, il sera mis une grande insistance sur le fait que « l’Église Réformée ne marie pas », mais qu’elle ouvre un espace de célébration pour la « bénédiction de couples mariés » ; entendez, des couples déjà mariés à la Mairie, comme tout le monde, mais qui, plus spécifiquement, veulent entendre une parole bénissante sur leur union, souvent dans un temple. D’ailleurs, l’article 433-21 du Code pénal punit de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende tout ministre d’un culte qui « mariera » ou « bénira un couple » sans que celui ci soit passé d’abord par les auspices de l’Etat Civil.

C’est cette représentation qui a prévalu dans un discours de nos Églises, devenu parfois plus républicain que la République. C’est aussi ce discours qui a permis de dire que des couples PACSés ou des couples non mariés (notamment des couples homosexuels jusqu’à la loi du 17 mai 2013) ne puissent être bénis dans nos temples : ils n’étaient pas passés devant l’officier d’Etat Civil à l’occasion d’un mariage civil.

L’argument du préalable qu’est le mariage civil est donc caduc ; il ne peut servir de parapluie ouvert pour refuser de façon gênée à un couple homosexuel qu’il soit béni par l’Église et au nom de Dieu. Il faut donc revisiter notre argumentaire qui ne peut plus avoir pour seul pilier la Loi française, mais doit peut-être désormais faire à nouveau droit à un discours éthique, anthropologique, biblique plus explicite qui dise vraiment pourquoi ce n’est pas possible. Un discours enraciné dans les Écritures puisque nous sommes protestants.

Le fait de s’être protégé pendant  des années derrière un mauvais prétexte et une justification secondaire est dommageable, car ce manque de courage et d’honnêteté nous a fait éviter la vraie réflexion sur les soubassements de notre théologie de la bénédiction. C’est une très belle et bonne occasion que de pouvoir, par le synode national de 2015 de l’Église Protestante Unie de France, se repentir de cette lâcheté, et renouer avec le courage d’une foi ancrée dans les Écritures bibliques et l’audace de la vérité. C’est une théologie de l’Alliance qu’il faut redévelopper, puisque le mariage n’est plus, du fait du changement de la loi, défini en pleine conformité et cohérence avec ce que la tradition chrétienne a construit sur plusieurs siècles.

Ce sera aussi l’occasion de se repentir et de dénoncer un lieu commun que nous avons avec complaisance laissé dire à tous vents, à savoir que les réformés sont « pour le divorce », alors que nous aurions dû corriger de tels propos en proclamant l’indissolubilité du mariage biblique, mais la possibilité de bénir une union de la deuxième chance, après avoir connu un échec. Ce qui est sensiblement différent.

Dans plusieurs articles de ce site, vous pourrez trouver une reprise biblique, éthique, anthropologique et théologique de ces questionnements et voir la diversité des arguments que produisent les uns et les autres sur ce sujet.

Jésus au prisme du genre

Les débats actuels et la confusion des propos bruyants ne permet pas vraiment la réflexion. Dans les milieux chrétiens comme dans le reste du monde, il devient difficile de faire reconnaître la différence profonde et fondamentale entre :
- des études du genre, qui cherchent à comprendre combien les notions de féminité et de masculinité sont codifiées et façonnées différemment selon les cultures,
- une vraie théorie du genre (bien que d’aucuns disent qu’elle n’existe pas), qui est l’extrapolation hasardeuse, normative et idéologique desdites études, prônant toutes sortes d’excès dont la négation de la différence sexuelle, le rupture fantasmée entre genre et culture, ou un hégémonisme d’une culture a-sexuelle ou trans-sexuelle (androgynie).

Alors portons paisiblement notre regard sur Jésus avec le recul critique d’une lecture au prisme du genre, en voyant quelles dérives nous pourrions en conclure dans une idéologie du genre (plutôt que « théorie », si vous le voulez bien).

JÉSUS, HOMME JUIF
Jésus est troublant à plus d’un titre, et pas seulement parce qu’il a su être pleinement Homme et pleinement Dieu. Il l’est parce que sa façon d’être homme, telle que les évangiles nous la décrivent, est étonnante pour notre perception culturelle.

Du point de vue de sa propre culture, juive, il est tout à fait un homme. Il porte une robe, avec vraisemblablement des téfilines (תפילין), puisque ce fut une drôle d’expérience qu’une femme impure du fait de pertes de sang ose toucher la frange de sa tunique (Luc 8,46). Il est un rabbin assez normal, il convoque des disciples qui sont des hommes essentiellement même s’il semble très ouvert à ce que des femmes suivent son enseignement et ses pérégrinations. Il ne s’oppose pas ouvertement aux catégories de son époque dans la répartition des prérogatives sexuelles, mais en même temps il transgresse plusieurs interdits. Il n’hésite pas à parler à une femme au bord d’un puits (Jean 4), ce qui « ne se fait pas », tout comme se faire sécher les pieds par une prostituée (Jean 12). Mais surtout il sera de fait connu comme le Ressuscité par le témoignage premier de femmes l’ayant découvert vivant au tombeau (Luc 23,55), ce qui est une bizarrerie car le témoignage des femmes n’a aucune valeur juridique.

JÉSUS EFFÉMINÉ ?
Du point de vue de notre culture, Jésus est un peu efféminé. Pas simplement à cause de la robe, mais surtout à cause de sa douceur dans les relations avec les autres. Ce type de délicatesse est classé au registre des valeurs féminines dans la France d’aujourd’hui.
Beaucoup sont aussi assez gênés qu’il ne soit pas marié.

C’est oublier qu’il est fiancé, et ceci depuis qu’il a posé, à Cana (Jean 2) l’acte d’abandonner la férule maternelle. Par là il a « quitté son père et sa mère pour s’attacher à son épouse » (Genèse 2,24), et ceci, justement, dans des noces qui préfigurent son propre mariage ! Lisez Apocalypse 19 pour y voir la narration des Noces de l’Agneau, où le Christ-époux prendra entièrement pour lui l’Église-Épouse en noces joyeuses : toute l’humanité rassemblée deviendra l’Épouse.
Donc Jésus n’est pas célibataire, à moins qu’on considère un fiancé comme un pur célibataire.

C’est un déficit de connaissance biblique qui a fait de Jésus une sorte d’androgyne dans l’imaginaire des chromos italiens, mais il était bien un homme, sexué et plein d’émois. Est-ce le fait qu’il pleure (Jean 11) ou qu’il soit secoué d’émotions à Getsémané (Matthieu 26) qui fait que nous trouvons encore qu’il soit un peu sensible ou maniéré ? En tout cas, cela ne peut être le point de vue que d’une société où s’est radicalisé une masculinité ancrée dans l’adage : « un garçon ça ne pleure pas… voyons ! ».

CROIRE C’EST POUR LES FEMMES
Ce déficit de culture quant à l’anthropologie biblique donne à penser à beaucoup d’hommes occidentaux que la foi n’est pas faite pour les vrais mâles, parce qu’elle implique une sensibilité qui est classée culturellement en France comme de l’ordre du féminin. Un homme ne confesse pas ses péchés devant les autres, il ne parle pas de son intimité, il ne partage pas ce qui est de l’ordre de l’émotion. Sinon il n’est pas un homme… D’où la perception que la foi serait une sorte de mariage spirituel entre la femme croyante et Jésus, ce qui est une aberration parce que Jésus n’est pas polygame, et encore moins infidèle à sa seule Épouse qui est l’Église. C’est aller un peu vite en besogne de dire que, parce que Jésus serait l’époux spirituel de l’Église, il serait l’époux psychique et émotionnel de chaque femme… Et conséquemment qu’on ne peut pas être homme et croyant parce que cela évoque une intimité d’homme à homme qui semble être de l’ordre d’une relation « entre copines ».

Une saine étude du personnage de Jésus selon les catégories du genre nous permet donc de comprendre combien le machisme occidental est d’une toute autre nature que le système patriarcal connu à l’époque de Jésus. C’est un produit d’un puritanisme du XIXème siècle. Le patriarcat juif est compensé par la transmission matrilinéaire de la judéité : cette idée émerge exactement au temps de Jésus. Notre machisme d’avant 1968 est quant à lui plus que patriarcal : c’est un simple système de domination des hommes sur les femmes, pour l’essentiel.

Il pourrait ainsi y avoir une Bonne Nouvelle à considérer l’étonnante égalité biblique, que l’on trouve dans plusieurs passages dont deux sont assez explicites :
- « la femme est l’os de mes os, la chair de ma chair » (Genèse 2,23) signifie une radicale identité qualitative entre l’homme et la femme,
- « La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme. » (1 Corinthiens 7,4). C’est révolutionnaire pour le contexte du Proche-Orient ancien.

IL S’EN SUIT QUE…
Nous sommes donc mis au défi en tant qu’Église de savoir si la lutte contre le machisme ambiant n’est pas une partie de la Bonne Nouvelle qu’un Christ sauveur veut annoncer à notre culture. Pour autant, comment rejoindre une génération d’hommes à certains égards traumatisée par le choc de représentations de 1968, et les contrecoups inattendus du mouvement — positif ! — de libération de la Femme ? Comment être un homme entre les deux lignes de fuite que sont l’hypervirilité du colosse bodybuildé, d’une part, et l’androgyne des publicités de Jean-Paul Gaultier promouvant explicitement une culture gay, d’autre part ?

En somme, ne serait-il pas vraiment révolutionnaire de parler de l’homme (masculin), via les modèles de la paternité de Dieu (amour et fermeté), de la masculinité de Jésus (tendresse et autorité), etc. ? N’est-ce pas là une façon de s’affranchir d’une culture qui s’est avéré être aliénante ?

Il deviendrait en revanche idéologique de faire de Jésus une icône gay, interprétant au crible d’une androgynie devenue but en soi, justifiant son a-sexualité par son célibat dénoncé plus haut, ou par des versets faciles à tordre dans un but doctrinal : « Un des disciples, celui que Jésus aimait, était couché sur le sein de Jésus. » (Jean 13,23). Pareillement, pourquoi inverser la logique et à tout prix vouloir employer un langage inclusif pour parler de Dieu, l’appeler Mère ou Père/Mère plutôt que d’assumer que l’Écriture l’appelle simplement Père ?

Car là, on ne serait plus dans le « lire » mais dans le « délire ».

« Ce qui me frappe, au contraire, lorsque je regarde en moi-même ou que j’entre en contact avec un de mes frères en humanité, c’est à quel point la raison, cette raison au nom de laquelle on prétend nier toute valeur spirituelle de caractère proprement religieux, est sans cesse obnubilée par la passion, par tout ce qui monte des bas-fonds de notre être, par tout ce qui nous pousse à prendre notre intérêt personnel pour seule règle, à le mettre au centre de notre vie, par tout ce qui inspire notre égoïsme et notre orgueil. »

Marc BOEGNER, Le christianisme et le monde moderne
Paris, Librairie Fischbacher, 1928

Courrier des lecteurs de l’hebdomadaire Réforme (20 fév 2014)

« Conseiller presbytéral à Voiron (Isère), je viens de recevoir les 2 épaisses brochures sur « Bénir ». Que de papiers à lire ! Certes l’EPUdF présente le dossier comme l’occasion de réfléchir sur la bénédiction en général, mais la seule question qui se posera sera : Va-t-on bénir les couples homosexuels, mariés ou non ? et non pas : Va-t-on bénir les porte-avions ?
Ces nombreuses pages brassent énormément d’éléments anthropologiques, bibliques, psychanalytiques, afin qu’on puisse dire si la décision est prise de bénir ces couples : »Vous voyez, on a beaucoup réfléchi, beaucoup débattu, donc la décision est bonne et indiscutable ».
Le tableau final de l’annexe 5.13 élaboré par un poste de la Mission populaire, a la prétention de présenter objectivement les diverses positions. Finalement, il aboutit à faire apparaître ceux qui sont contre la bénédiction des homosexuels comme des extrémistes, marginaux et ringards, alors que ceux qui sont pour sont présentés comme des modernes, progressistes qui montrent le chemin aux autres. »

D. Lanz

Différenciés ?

par Gilles Boucomont, pasteur
novembre 2012

Homme et Femme il les créa – La Genèse

Pour certains*, il ne serait pas dans le rôle des religions de se prononcer sur les questions de conjugalité qui vont être portées au vote du législateur, sans consultation populaire, et sur proposition gouvernementale.

Il est vrai que les réponses actuelles des institutions religieuses se basent essentiellement sur des argumentaires anthropologiques et non pas bibliques (pour les religions Juive et chrétienne), mis à part l’excellente contribution du grand rabbin Gilles Bernheim, qui conclue son propos sur un développement intéressant quant à la différenciation sexuelle. Et c’est très certainement dommage de la part des Eglises catholique et protestantes, j’en conviens, car la pointe de ce que nous avons à partager avec le reste de la société est bien dans ce message central des Ecritures bibliques, cette espérance et cet amour inégalés.

Il est vrai qu’il n’est pas dans le rôle des religions de prétendre instrumentaliser l’Etat et ses structures légiférantes, dans le cadre de la laïcité à la française. Mais ladite laïcité n’interdit pas pour autant aux religions d’émettre leur avis. C’est ainsi que vit la démocratie.
Si beaucoup de clercs sont des hommes d’appareil et d’institution, nombre d’entre eux sont aussi des potiers de la pâte humaine, confrontés au quotidien à l’écoute des questions et souffrances de gens réels, avec leurs cohérences et leurs incohérences. Peut-être serait-il intéressant d’entendre, au-delà des formulations des appareils d’Eglises, ceux qui accompagnent spirituellement des personnes de tous sexes, genres et opinions.

Que disent donc les anthropologies bibliques ? Que dit le Premier Testament ? Que dit le Christ, telles que ses paroles sont rapportées par le Nouveau Testament ? Que disaient les premiers chrétiens ?

Les anthropologies bibliques, d’abord, sont multiples, dans la mesure où la Bible est composée de textes écrits sur 1500 ans entre l’Espagne et l’Iran, la Turquie et l’Ethiopie. C’est vaste, dans le temps comme dans l’espace. Les représentations de la famille de Clovis (il y a 1500 ans) étaient quelque peu différentes des nôtres. La Bible fait donc état non pas d’une anthropologie monolithique, mais plutôt des relectures progressives d’un peuple qui sentait qu’il évoluait dans ses représentations, sous l’influence de Dieu. Elle est plus de l’ordre d’un long métrage que d’une photo figée.

La majeure partie du Premier Testament se structure dans l’exil à Babylone, au septième siècle avant notre ère. Séparé de Jérusalem et de sa centralité pour l’exercice du culte, le peuple Juif doit réinventer sa théologie en faisant de l’Ecriture le nouveau Temple, puisqu’il n’est pas envisageable de se donner rendez-vous l’an prochain à Jérusalem. C’est dans ces périodes que se structurent la Torah (dont la Genèse) et beaucoup de textes prophétiques, sans oublier de nombreux psaumes. Le défi des Juifs en exil à Babylone est de réaffirmer leur originalité théologique et de lutter contre la théologie et les anthropologies environnantes. Atterrés par la polygamie ambiante et le polythéisme débridé, ils réécrivent leur histoire en affirmant le caractère positif de la monogamie, comme une sorte de métaphore très incarnée d’une autre transition : celle du polythéisme au monothéisme. Abraham s’est laissé convaincre qu’il n’y avait qu’un seul Dieu ; il faudra quelques générations pour convaincre ses fils et petit-fils d’étendre cette réalité à une fidélité à une seule femme…

C’est dans cette période exilique et post-exilique que se structurent les récits créationnels tels que nous les recevons dans la mouture actuelle de nos bibles. On peut retrouver dans une même strate de rédaction les deux créations de Genèse 1 et Genèse 2 ou le psaume 8.
Qu’est-ce qu’un Homme ? Voilà la question posée.
Un Homme n’est pas structuré par les étoiles et la lune. Ce ne sont que des lampadaires ; voilà ce qu’affirment les Juifs, tandis que leurs persécuteurs déclarent que le soleil est leur dieu et que la lune est sa parèdre. Une théologie de combat et une anthropologie en réaction à l’oppresseur se mettent donc en place, qui influencent encore aujourd’hui nos représentations. Comme par hasard, le jardin d’Eden, c’est la plaine babylonienne, entre Tigre et Euphrate, dira Genèse 2. Le lieu où les Juifs sont en exil, mis dans une servitude qui rappelle tous les mauvais souvenirs de la captivité en Egypte, le lieu de cet exil, c’est un vrai paradis (c’est de l’humour Juif). Et là c’est le Dieu unique qui crée une humanité unique, capable d’adorer l’Eternel même à des centaines de kilomètres de Jérusalem, une humanité pour la première fois représentée de façon universaliste, car jusqu’alors, les Juifs n’avaient pas de récits de création, mais seulement des narrations très ethno-centrées de leurs origines. Leur identité, c’était d’être les descendants d’un araméen nomade. Et le peuple hébreu avait connu sa création en sortant d’Egypte. Pas plus. Cette théologie de la libération était première, bien plus essentielle pour un peuple qui n’avait que faire de la question d’une origine du monde. Leur origine, c’était la liberté, gagnée par Moïse et par l’Eternel face à Pharaon, reçue par l’appel d’un Abraham à quitter… la Babylonie (comme par hasard, bien que 1200 ans plus tôt).

L’anthropologie post-exilique place au cœur de l’identité humaine la différenciation sexuelle. Et au cas où nous ne l’entendrions pas comme cela, le rédacteur de la Genèse préfère le raconter deux fois, de deux façons différentes, dans des récits dont l’altérité est incompressible. Deux narrations pour insister sérieusement sur la même idée !
Genèse 1 raconte la création en sept jours, via un processus continu de différenciation (lumière/ténèbre, sec/mouillé, végétal/animal…). Dieu crée en sauvant le monde de l’indifférenciation première dont le nom hébreu est connu même en français : le tohu-bohu, l’anomie première, l’entropie primitive, le chaos des origines. Il crée en proposant de ne plus autoriser la confusion. Et c’est au sixième jour que sont créés les animaux domestiques, et puis l’humain. Si le monde des mammifères est créé le même jour, l’humain est créé en dernier. Il est créé « homme-et-femme », non pas dans une bisexualité, mais dans une complémentarité « l’homme + la femme ». Et c’est de cette différenciation dont Dieu dit qu’elle fait de l’humain l’image de Dieu. C’est parce qu’il est homme complété par la femme, femme complétée par l’homme, que l’humain est à l’image de Dieu.
Genèse 2 raconte un récit très différent. La terre est faite brute, sans herbe ni arbres. Et de la poussière Dieu fait l’humain (pas l’homme, le mâle, mais bien l’humain). L’humain est créé avant les végétaux. C’est un autre discours qu’en Genèse 1, mais une même idée : le rôle de l’humain est d’administrer la création selon le dessein divin. Mais l’humain seul, au milieu des champs et des forêts s’ennuie à mourir. La première parole de Dieu dans ce second récit consiste à consacrer le caractère mauvais de la solitude. Cette solitude est celle du fantasme de l’autosuffisance, tellement en vogue aujourd’hui, au passage. L’humain est seul et s’ennuie.
La première idée de Dieu pour rompre cette solitude est de tenter que son vis-à-vis soit créé de la même façon, avec de la terre, mais le Souffle divin en moins ; et Dieu crée les animaux. Mais, s’il les domine en les nommant, l’humain ne trouve pas de vis-à-vis qui vaille dans le règne animal. L’humain est découragé et Dieu doit réviser sa stratégie. Il crée du creux dans l’humain, en lui retirant une côte, et il forme une femme à partir de cette côte.
C’est la création de la femme qui suscite une rupture dans le récit, désormais on ne parle plus de l’humain, mais de l’homme, sexué. L’advenue de la femme crée une humanité duelle, qui n’existe que par sa capacité à se compléter. Et peut advenir la première parole humaine de toute la Bible : « Voici, dit l’homme, elle est l’os de mes os et la chair de ma chair ». Discours féministe s’il en est, car affirmer (je parle du rédacteur et pas d’Adam) que la femme est qualitativement la même chose que l’homme est un discours parfaitement révolutionnaire 2700 ans avant mai 68 ; surtout quand on pense que la France de 1947 ne l’avait pas encore compris, sur un registre aussi central que le suffrage universel…
L’humain n’est donc plus seul car il est limité, il n’est plus auto-suffisant, et il a besoin de la complémentarité homme-femme pour pouvoir être vraiment humain. Le rédacteur enchaîne d’ailleurs, sans transition, sur le fait qu’il s’agit là de l’explication même du fait que l’homme doive quitter père et mère pour s’attacher à sa femme.

Nous sommes donc d’accord que la Genèse ne fonde pas le mariage. Elle fonde encore moins le mariage comme institution bourgeoise régulant l’amour en Occident. Mais elle fonde une anthropologie de la différenciation et de la complémentarité des sexes qui est tout à fait originale, et qui plus est fondatrice. Ce sont les premiers versets de cet ouvrage qui deviendra au IIème siècle de notre ère la Bible, telle que nous la recevons !

La conjugalité ne saurait être autre que différenciée sexuellement, pour le Premier Testament.

Maintenant que dit Jésus ? Sa propre généalogie montre qu’il est vraiment Homme, en plus d’être vraiment Dieu… On ne compte plus les recompositions, les conjugalités tordues, les adultères, les naissances incongrues. Il a même deux généalogies très différentes suivant qu’on se fie à Matthieu et à Luc ! Son humanité se dit par cette incarnation dans le réel chaotique d’une famille bien réelle, c’est-à-dire recomposée après avoir été décomposée. Il devra recadrer son père à l’âge de douze ans, et sa mère à Cana, pour pouvoir commencer à vivre vraiment Sa Vie et son ministère. A l’occasion du mariage d’un homme et d’une femme, comme par hasard…
Il est étonnant de prime abord que Jésus ne parle pour ainsi dire pas du mariage. Ce n’est pas ce qui le préoccupe le plus. Il parle en revanche beaucoup des enfants et insiste sur le respect des petits, et l’impératif qu’ils soient au bénéfice d’une paternité équilibrée et équilibrante, puisque la paternité est toujours adoptive, contrairement à la maternité. Et Jésus le sait pour lui-même !
En termes de conjugalité, Jésus parle essentiellement du divorce ! C’est dire son pragmatisme. Et il se rapproprie d’ailleurs les paroles de la Genèse pour dire combien la tyrannie des désirs est déstructurante pour les humains qui n’ont pas la simplicité de vivre le chemin qu’il essaye de vivre : la fidélité, conjuguée à tous les temps et tous les genres. Jésus relègue effectivement la conjugalité au cadet de ses soucis, si l’on se fie à ses paroles rapportées par les quatre évangélistes, mais en réalité, le reste des Ecritures bibliques viennent expliquer quelle en est la raison. Il est l’Epoux, et il n’est pas marié à une femme, parce que tout simplement, en tant que Christ, Seigneur, et Fils de Dieu, il est l’Epoux et c’est l’Eglise, la communauté des croyants qui est l’épouse, celle qui doit arriver au mariage sans tache.
Paradoxalement, c’est donc une très haute idée de la conjugalité sexuée et différenciée qui s’exprime notamment dans le livre de l’Apocalypse, où toute l’Histoire est analysée au travers du prisme de cette mystique des Noces de l’Agneau, point culminant de la fin de l’Histoire, vers lequel toute l’Histoire est tournée. Jésus ne fait pas d’éloge du célibat bien qu’il soit fonctionnellement célibataire. Il vit plusieurs expériences très érotisées, de fait, mais qui sont là pour dire ce mystère de la foi, reprenant une vieille habitude narrative des prophètes : Dieu est le fiancé et le peuple est sa fiancée. Jésus en tant qu’homme se réserve pour sa bien-aimée, et il n’est pas le mari d’une femme humaine parce qu’en tant que Dieu il est l’Epoux du Jour du Jugement. Cette apogée de l’image conjugale est donc parfaitement au centre de la théologie du Nouveau Testament, et donc incidemment de l’anthropologie néotestamentaire.

Paul, enfin, est très décrié par tous ceux qui ne l’ont pas lu, au prétexte qu’il serait machiste. C’est le manque de culture biblique qui fait dire cela à ses commentateurs de comptoir. C’est en effet essentiellement dans les épîtres aux Corinthiens qu’il abonde en propos normatifs quant à l’identité de l’homme et de la femme, avec des postures qui fleurent bon le conservatisme étroit, le paternalisme patriarcal, si l’on m’autorise la redondance. Mais alors, si Paul est le machiste qu’on veut qu’il soit, pourquoi ne l’est-il que dans certaines épîtres ? Eh bien notamment parce que Corinthe était le lieu d’un culte où les prêtresses étaient des femmes, avec une prostitution sacrée, etc. Si bien que quand des corinthiennes se convertissaient, il n’était pas évident en terme de régulation paroissiale — pour employer un néologisme — de savoir comment gérer ces pythies, ces prostituées, ces voyantes et autres nécromanciennes. C’est pour cela qu’il leur dit de se taire, d’obéir à l’homme, etc.
Paul écrit des lettres comme un consultant présente ses préconisations à des institutions en crise. Il n’aurait jamais eu l’idée que nous prendrions ses avis comme des universaux, et il se retourne dans sa tombe, certainement, de savoir que ses épîtres sont dans le même ouvrage que la Torah de Moïse !
Mais pour autant, que ceux qui ont des oreilles entendent ce que dit Paul et qui est d’une modernité incroyable. « La femme n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’est la femme. » 1 Corinthiens 7,4. Dire que le mari appartient à la femme en Grèce au premier siècle est parfaitement révolutionnaire. Quant à la fameuse phrase qui lui est toujours reprochée : « Femmes, soyez soumises à vos maris » (Ephésiens 5,22), elle vaut la peine d’être lue dans son entier puisqu’elle se finit par « Maris, aimez vos femmes, comme Christ a aimé l’Eglise, et s’est livré lui-même pour elle ». Là encore, quelle complémentarité homme-femme ! Et quelle exigence plus haute encore que d’aimer sa femme comme le Christ à aimé l’Eglise !

Alors oui, dans les différentes strates des anthropologies bibliques il y a bien une figuration de la différenciation et de la complémentarité de l’homme et de la femme, centrales pour la conjugalité. Et cette figure est non seulement capitale au plan humain, mais elle est une métaphore permanente de ce qui préoccupe ultimement tous les rédacteurs bibliques : la complémentarité et la différenciation de l’humain d’avec Dieu.

Cet avis n’intéressera sûrement pas le législateur.
Mais c’est dommage.

 

Gilles Boucomont, 4 novembre 2012
*à la suite de http://authueil.org/?2012/11/04/2067-pas-le-role-des-religions

L’Eglise : un havre de paix pour les homosexuels

Par Gilles Boucomont, Eglise Protestante Unie du Marais

publié dans « Homosexuel, mon prochain », hors-série n° 15 des Cahiers de l’Ecole Pastorale.
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© Reproduit avec autorisation de l’éditeur

Le parlement français a voté l’ouverture de l’institution du mariage civil aux couples de même sexe. Cette saison n’a pas vraiment été un temps de débat, un temps de paroles, mais plutôt un temps pour des cris. Cris de douleur de la communauté homosexuelle qui s’est souvent construite, à raison, mais parfois aussi à tort, dans une identité de rejet. Cris de colère des défenseurs du mariage, chrétiens ou non, attachés à une institution qui s’est forgée en France pour délimiter et encadrer natalité, filiation et transmission. Après tant de bruit, nous nous retrouvons en Eglise pour penser les questions qu’ont fait surgir ces débats, avec un impératif que le Christ nous soumet : être dans sa vérité, et être dans la paix. En somme être en Lui, qui est Vérité et Prince de paix.

 

Morale « judéo-chrétienne » ?

Toute Eglise protestante ou évangélique va donc prendre la question comme elle en a l’habitude, à l’aune de ce qu’évoque le texte biblique, qui fait autorité en matière de foi et de règles (Sola Scriptura). L’Ecriture est une source centrale bien qu’elle ne soit jamais purement unique. Si c’est l’Ecriture seule qui fait foi, nous savons combien notre culture est marquée par le paternalisme et le puritanisme du XIXème siècle, que nous confondons avec la « morale judéo-chrétienne », concept créé par les sociologues athées et les journalistes de la fin du XXème siècle.

Et nous confondons sans nous en apercevoir l’Ecriture et ses interprétations, dont nous avons intégré les lignes fortes pour ne plus pouvoir revenir à la source sans y apporter un goût extérieur, extra-biblique. Après tout qui se choque encore du nombre d’épouses et concubines de Salomon ? Qui encore, sinon les pharisiens, crie au scandale quand Marie sèche les pieds de Jésus avec ses cheveux ? Qui s’étonne que Joseph aille sans problème à Bethléem avec une Marie enceinte avant le mariage, n’étant lui-même blessé que par le fait qu’il ne soit pas à l’origine de cette grossesse ?

Bref, il est objectif que la Genèse pose la complémentarité homme-femme. Mais trouver une morale immanente à la Bible en matière de sexualité, de conjugalité et de famille nécessite de tordre et déformer texte biblique, à partir de nos principes et de notre actualité. La morale au temps d’Abraham n’a rien à voir avec celle au temps d’Esaïe, qui n’a rien à voir avec celle au temps des apôtres. Elle n’a rien à voir avec la nôtre, qui s’est surtout forgée dans les 150 dernières années…

Quatre textes bibliques normatifs nous parlent d’homosexualités. Ils ne structurent pas une morale mais bien une Loi civile et religieuse, avec son aspect pénal. C’est le code de sainteté d’Israël. La première chose que nous remarquons c’est que, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, seul un texte interdisant l’homosexualité en Israël se trouve dans le premier testament (Lévitique 18,22 avec la punition assortie en Lévitique 20,13). Dans l’histoire de Loth, c’est le viol qui est condamné surtout (Genèse 19,5). De la même façon à Guibéah dans le viol d’un lévite (Juges 19,22). Trois textes se trouvent dans le nouveau testament, plus particulièrement dans les épîtres de Paul (Romains 1,28-31 – 1 Corinthiens 6,9 – 1 Timothée 1,8-11).

En 1 Corinthiens 6,9, Paul crée des mots nouveaux pour parler de l’homosexualité dans ses deux modes, passif (malakoï) et actif (arsekoïtai).

En Romains 1, il inclue l’homosexualité dans une série d’idolâtries comportementales. Son but est d’aboutir à Romains 3,23 : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ». Il ne met pas un accent particulier au point que l’homosexualité fait partie d’une liste bien plus vaste.

En 1 Timothée 1,8-11, il déploie la même argumentation.

 

La Loi et la morale

Les Ecritures parlent donc clairement de l’homosexualité comme d’un péché. N’en déplaise à ceux qui sont prêts à tordre le texte pour affirmer le contraire, jusqu’à dire que Jésus l’admettrait, car sinon, il l’aurait condamnée explicitement…

En revanche, c’est la posture de Jésus face au péché et au pécheur qui nous importe pour comprendre l’économie nouvelle, la norme du Royaume. Comment nous positionner à notre tour non pas dans une attitude de jugement comme si c’était toujours la Loi qui prévalait pour nous, mais bien pour intégrer la grâce dont le Christ a voulu faire preuve, de la part du Père.

Et c’est dans son attitude face aux pécheurs que nous pouvons comprendre la révolution Jésus. En Jean 8, Jésus fait face à une femme adultère. Mais il n’est pas seul ; les tenants de la Loi sont avec lui, prêts à la lapider, mais rebroussant chemin dans la honte que fait monter en eux la conscience de leur péché.

Les tenants de la morale sont les nouveaux docteurs de la Loi et les nouveaux scribes ou pharisiens. A ceci près que, s’ils sont chrétiens désormais, ils se trompent de loi. C’est au nom d’une autre Loi que celle de Christ qu’ils agissent, au nom de cette loi morale prétendument judéo-chrétienne qui n’est autre qu’un paternalisme conservateur qui est surtout le fruit de la révolution industrielle, indispensable pour que les ouvriers soient disciplinés et serviles.

Pourtant, bizarrement, si cette morale est très présente dans les Eglises, elle est exigeante contre l’homosexualité, mais elle est parfois moins véhémente contre l’adultère. Elle est tout à fait relâchée par rapport aux ivrognes, que l’on ne cherche pas toujours à sortir de leur mauvaise habitude au pays du bon vin. Que dire des cupides, qui eux sont dans les conseils pour administrer l’Eglise, alors que Paul en 1 Corinthiens 6,9-10 les met tous sur le même plan ? Sans distinction ni hiérarchie.

 

L’amour et la vérité

Il n’est pas insensé de considérer que tous ces péchés sont aussi graves les uns que les autres, dans la mesure où Paul proclame qu’ils nous privent du Royaume. Mais l’attitude de Christ en Jean 8 par rapport à la femme adultère devient la nouvelle norme du Royaume. L’Eglise, qui prolonge l’œuvre de Christ est donc le lieu où doit s’exprimer l’habile dosage de sévérité à l’égard du péché, et de compassion à l’égard du pécheur désireux de changer de vie.

C’est ainsi que les prostituées qui se convertissent sont souvent bien accueillies, les alcooliques en chemin vers la sobriété le sont aussi dans nos Eglises ; il doit en être de même pour ceux qui luttent en chemin contre l’homosexualité. L’Eglise est le lieu où les pécheurs (que nous sommes tous si nous relisons le sermon sur la montagne), viennent confesser leur misère devant celui qui les relève et leur dit :
- Je ne te condamne pas,
- Va,
- Ne pèche plus.

Les trois éléments de ce cheminement sont capitaux. Jésus, par son délicat « ne pèche plus », signifie clairement qu’il n’a pas aboli le fait que l’adultère avéré de cette femme soit une occasion de rupture avec le monde, et avec Dieu et sa Loi. Il n’a pas aboli le code de sainteté. Et il n’hésite pas à dire les limites du possible. Il n’a pas de honte à dire que c’est invivable. Que c’est même contre Dieu. Il ne lui dit pas « Rien n’est grave, avance maintenant ». Selon le code de sainteté, elle devait être lapidée. Elle ne le sera pas. Mais combien de personne se disant homosexuelles sont lapidés verbalement ou simplement ostracisées jusqu’à ne plus revenir, dans des Eglises où leur péché a été promu au rang de péché supérieur. Qui sommes-nous pour établir des catégories que les Ecritures et le Christ n’ont pas posées, pour hiérarchiser les vertus ou les vices ? Sommes-nous ceux qui fixent la Loi ? De quelle autorité sortirions-nous un péché de cette liste, pour le rendre plus infâme ou le qualifier, au contraire, de bénin ?

Seul quelqu’un de totalement saint peut être en droit de mettre en application le code de sainteté, si nous sommes cohérents. Dieu seul peut donc punir l’adultère, en toute logique. Alors « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », lance Jésus, qui est sans péché, et a donc autorité pour la lapider, lui ! Mais il choisit de ne pas le faire. Il ouvre la possibilité au changement de vie, qui commence avec la capacité à se repentir. « Car là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » (Romains 5:20). Et c’est pourquoi il peut lui dire : « Va ».

 

Havres de paix

Les Eglises sont donc appelées à être des lieux de sécurité et de refuge pour les personnes se disant homosexuelles, où elles peuvent être sures d’être préservés de toute forme d’homophobie et de tout jugement. Nos Eglises doivent être des lieux où se dit la vérité, mais dans l’amour qui prévaut aux suiveurs de Christ. Elles sont appelées à être des lieux de grande sécurité spirituelle mais aussi émotionnelle pour que les pécheurs s’y retrouvent comme étant graciés, et apprenant à en tirer toutes les conséquences jusque dans chaque recoin de leur vie.

Mais comme pour tout pécheur, ce lieu de sécurité est aussi un lieu de vérité où la personne n’est pas confondue avec son comportement, mais définie dans ses vrais lieux d’identité. Personnellement, je ne suis pas un hétérosexuel, mais un homme marié à une femme. Nos Eglises ne bénissent pas des hétérosexuels. Elles bénissent des hommes et des femmes qui veulent vivre la conjugalité dans la fidélité que définit l’Ecriture, et qui fait de la vie comme de tout ce qui la constitue, une réalité éternelle.

 

Tu n’es pas ce que tu fais

La première étape est donc de pouvoir libérer ceux que nous accueillons de cette malédiction portée par la seule formulation « Je suis gay – Je suis lesbienne ». Non, tu es une femme qui n’arrive pas à envisager une conjugalité avec un homme. Tu es un homme qui n’arrive pas à s’imaginer dans le côte-à-côte et le face-à-face avec une femme. Ce n’est pas facile dans un environnement où le monde pousse à proclamer une prétendue identité homosexuelle, qui peut être même très valorisante dans certains milieux. Dans le Marais le ratio de personnes homosexuelles est de l’ordre du tiers de la population vraisemblablement, et cette revendication identitaire est omniprésente.

Cette première étape de liberté, les soi-disant hétérosexuels doivent la vivre aussi ! Car ils ont eux aussi à quitter cette idée qu’ils sont dans une totale disponibilité à toute présence du sexe opposé, pour pouvoir aller vers une recherche du vis-à-vis unique et adéquat, qui n’est pas un semblable, ni, dans le plan de Dieu, une créature interchangeable, seulement définie par le critère objectivé de sa génitalité. « Homosexuel » et « hétérosexuel » sont donc deux mensonges identitaires, en cela qu’ils qualifient de façon inadéquat notre être, par le seul prisme du comportement potentiel.

Est-ce que Dieu ou son Fils nous disent que l’hétérosexualité est une vertu suprême en soi ? En la matière, il semble que soient infiniment plus nombreux les passages qui décrivent les multiples formes d’une hétérosexualité dysfonctionnelle ! La personne bataillant avec l’homosexualité n’a pas pour but de s’installer dans l’hétérosexualité. Elle doit pouvoir se mettre à attendre son unique vis-à-vis de l’autre sexe, préparé sur mesure par le Père céleste.

 

Du temps et un espace pour la reconstruction

Ensuite, l’Eglise se doit d’offrir un espace d’attente, de conversion, d’évolution émotionnelle, de guérison, de sanctification. Accompagnant de nombreuses personnes de tous horizons, nous n’avons jamais vu quiconque pour qui la sexualité soit une expérience limpide et pure, simple et parfaite. Bien souvent les déplacements quant à l’identité sexuelle mettent beaucoup de temps. Autant l’esprit peut être délivré très rapidement, autant le corps peut guérir instantanément par miracle, autant la psychè (l’âme), même au bénéfice d’une intervention divine, a besoin de temps pour se construire ou se reconstruire. Les Eglises sont donc des espaces de patience et de confiance, où chacun peut mûrir dans sa destinée, pour marcher dans la ressemblance à Christ. Peu importe que nous ne soyons pas au bout du chemin du moment que nous sommes en route. Peu importe que nous ayons chuté du moment que nous ne nous complaisons pas à rester à terre.

Comme pour tout questionnement de vie, pour tout positionnement identitaire, nous n’hésitons pas à parler de délivrance et de guérison. Ce n’est pas bien reçu par les tenants d’une homosexualité intrinsèque, voire génétique. Et pourtant, ce discours sur la guérison et la délivrance peut être très bien reçu, mais dans la seule mesure où il ne cristallise pas l’attention sur des publics en particulier. De la même façon que les africains sont fatigués d’être toujours renvoyés à la sorcellerie, les homosexuels en ont assez d’être toujours stigmatisés comme étant des pervers, voire dans beaucoup de milieux, comme des candidats à la pédophilie ! Cette stéréotypie doit quitter nos têtes pour quitter nos langages. Pour autant, de la même façon que certaines dépressions ne sont pas que psychiques et nécessitent la prière de délivrance, plusieurs séquences de certains parcours homosexuels nécessitent la libération au nom de Jésus. Il ne s’agit pas de démoniser à tout crin, mais au contraire de s’offrir la possibilité d’un discernement acéré, avec l’aide du Saint-Esprit. Quoi qu’il en soit la plus grosse part revient à l’accompagnement et la cure d’âme, mais aussi à la communion fraternelle qui permet les chemins de construction et reconstruction.

 

Ne pas se tromper d’amour

L’Eglise est enfin l’espace où l’amour (agapè) régente les relations, et où nous avons la liberté de nous décaler avec la profusion des désirs et le règne de l’amour sensible (eros). Elle choisit aussi de se poser en rempart face au sentimentalisme qui prévaut pour justifier que tout est possible du moment qu’on aime. Ainsi la bénédiction n’est pas un geste qui dit que le couple béni est bien, mais que le mode relationnel qui s’installe entre eux est désiré de Dieu. La conjugalité homme-femme n’est pas une fin en soi mais bien un lieu où Dieu veut manifester sa complexité, lui qui a voulu que l’humanité soit à son image en étant « homme + femme ». S’imposent donc deux déplacements : de l’hyper-érotisation vers l’amour-charité et du sentimentalisme vers l’amour-charité. C’est un des lieux de conversion majeurs, et un défi pour la communauté locale.

 

Conclusion

Nous ne sommes donc pas du tout dans une perspective morale mais plus préoccupés par la sortie d’une idolâtrie qui menace tout humain et tout croyant, moi le premier.

Ce dont nous sommes redevables devant Dieu, c’est de faire bon usage de la grâce incomparable que nous avons reçue. Jésus va très loin à ce sujet, avec, pour qui le voudra, une probable évocation du péché de Sodome. En Matthieu 11,23-24, il affirme que Capernaüm sera traitée plus durement que Sodome au jour du jugement car elle n’aura pas administré comme Dieu le voulait le dépôt qui lui avait été fait ! Si l’on en juge aux paroles de Jésus quand il redéfinit la pureté dans la nouvelle alliance, c’est surtout ce qui sort de nos bouches qui est impur, et donc la parole homophobe semble être une impureté majeure. Pour autant, nous n’oublions pas de tenir un autre pôle de pensée qu’avait rappelé le prophète Esaïe : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien, et le bien mal, Qui changent les ténèbres en lumière, et la lumière en ténèbres, Qui changent l’amertume en douceur, et la douceur en amertume ! ». Il ne s’agit pas d’une question de moralité, mais d’une question de foi, d’alliance au Seigneur et non pas d’alliance éthique avec le reste du peuple.

Havre de paix pour toute personne fatiguée et chargée, lieu de sécurité pour le pécheur en reconversion, l’Eglise a un grand rôle à jouer dans un monde en perte de repères.

 

Par Gilles Boucomont, Eglise Protestante Unie du Marais

publié dans « Homosexuel, mon prochain », hors-série n° 15 des Cahiers de l’Ecole Pastorale.
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